On peut toujours dire que l’opinion d’un ignorant vaut bien celle d’un savant.
Mais cet avis ne pourra être autre que contextuel (dépendant d’un contexte connu ou inconnu, défini ou à définir).
Celui qui relativise ainsi le savoir du savant doit savoir se relativiser lui-même.
Car la “vérité” est toujours contextuelle.
La vérité du savant dépend d’un contexte, et ce contexte est fait de :
– la culture de son époque (qui l’a façonné);
– ses relations (qui l’ont façonné);
– ses croyances (mixte entre culture et expérience);
– son apprentissage (relatif à une époque).
1 – On peut être ignorant sans être instruit (contexte très étroit).
2 – Mais on peut être instruit et ignorant (lorsqu’on n’arrive pas à relativiser ses propres connaissances, lorsqu’on ne sait pas en douter, où chercher à les compléter). C’est un contexte étroit.
3 – On peut être moyennement instruit et cultivé. Cela signifie qu’on est apte à remettre en question ses certitudes. Une personne cultivée (qui a appris à prendre du recul sur soi, les autres, le monde) est toujours en disposition d’apprendre. Elle aime faire évoluer sa vision de la vérité. C’est un contexte plus ou moins large.
4 – on peut être instruit et cultivé. A ce niveau, on peut mettre en lien de nombreuses connaissances et faire évoluer souplement notre vision de la vérité. C’est un contexte très large.
Comprendre que ces 4 niveaux existent, c’est comprendre que toutes les opinions ne se valent pas.
La personne instruite et cultivée prononce un jugement qui se trouve à la croisée de multiples savoirs, même si ce jugement est en partie façonné par ses intérêts, ses projets.
L’égo, la volonté de dominance, ne quittent pas le jugement, mais sont tempérés.
La personne ignorante juge selon les valeurs dominantes d’une époque, les vérités superficielles qui courent entre les gens et dans les médias, puisque cette personne ignorante n’a pas appris à remettre en question ce qui lui paraît comme des évidences.
Pour l’ignorant, qu’il soit instruit ou non, le monde s’arrête là où il a cessé de le penser.
Pour l’ignorant, ce qu’il dit “va de soi”…
Le jugement de l’ignorant est un mixte d’opinions auxquelles il n’a jamais réfléchi et de sa volonté de dominance (à laquelle il n’a jamais réfléchi puisqu’il ne sait pas comment il fonctionne).
Il ne s’agit donc (surtout) pas de s’arrêter à dire : “chacun sa vérité”.
Il s’agit de chercher à comprendre comment chacun (et donc soi-même) construit sa vérité. Il s’agit de comprendre comment les vérités des uns et des autres peuvent se mettre en lien, se concurrencer, se hiérarchiser.
La vérité la plus communément admise n’est pas, généralement, la vérité la plus aboutie. Car cette vérité est le plus souvent celle du pouvoir, c’est la vérité que le pouvoir a imposée à tous, pour son propre intérêt.
Dans chaque interaction entre deux individus (entre deux opinions sur la vérité), chacun devrait pouvoir se mettre en condition de :
– se demander où veut l’emmener sa propre volonté de dominance (et comment);
– se poser des questions sur le contexte qui l’a amené à émettre ce qu’il pense être la vérité;
– se poser des questions sur le contexte qui amène son interlocuteur à dire SA vérité.
Bref, chacun devrait être capable de dire d’où il parle, et de chercher à savoir d’où l’autre parle.
Olivier Lafay